Faut-il être végétarien pour être un « bon » yogi ?

Ahimsa, le principe de non-violence

Retour aux Yoga sutras de Patanjali.

Dans le deuxième chapitre des Yoga Sutras, Patanjali définit les 8 membres du yoga. Les deux premiers membres du yoga sont un ensemble de règles morales pour vivre en harmonie avec les autres : ce sont les yamas, et pour vivre en harmonie avec soi : ce sont les nyamas.

ahimsa Satya asteya brahmacarya aparigrahah yamah

Pantajali

L’aphorisme II.30 (ci-contre en sanskrit) décrit ce que sont les yamas.

« La non-violence, la véracité, le non-vol, la continence et l’absence d’avidité sont les cinq piliers de Yama ».

Le premier principe de l’harmonie envers les autres est ahimsa.

La traduction du sanskrit

  • Ahimsa : non-violence, respect de la vie

De nombreux pratiquants ont une lecture stricte de la non-violence qu’ils appliquent à tout être vivant. Entrer dans ahimsa revient donc à ne pas tuer, donc à devenir végétarien. Pratiquer le yoga c’est donc devenir végétarien. C’est devenu une évidence, et la croyance populaire a associé les deux. A tel point qu’on se pose même plus la question, encore moins pour les profs de yoga. Un.e prof de yoga est végétarien.ne. Point. Et pourtant…

Une anecdote intéressante

Kate Holcomb raconte dans le Yoga Journal France une rencontre à laquelle elle a assisté en Inde en 1990.

Alors qu’elle passait un séjour auprès de T.K.V. Desikachar, un étudiant français, venu pour devenir prof de yoga, a rencontré le maître pour une consultation. Il décrivait une baisse de son énergie, de sa concentration et une perte de poids importante.

Desikachar lui a demandé s’il mangeait de la viande, et l’étudiant a répondu :
_ »non, monsieur, bien sûr que non ! ». Le maître a alors demandé pourquoi l’étudiant répondait par un « bien sûr que non ! ».
_ «  Parce que je veux devenir professeur de yoga et tout le monde sait qu’un professeur de yoga ne mange pas de viande. »

Face au français mal en point Desikachar a prescrit le retour de la viande dans le régime alimentaire du jeune homme. En effet, dans son cas particulier, le régime alimentaire végétarien n’était pas adapté. Desikachar lui a rappelé que le principe de non-violence s’applique déjà à soi-même.

Au-delà du texte de Patanjali

Alors, au-delà du principe d’ahmisa, pourquoi les pratiquants de yoga ne mangent pas (ou que peu) de viande ?

Quelques principes d’ayurvéda

La traduction du sanskrit

  • ayur : la vie
  • véda : la science, la connaissance

L’ayurvéda est une médecine traditionnelle reconnue par l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) dont la vocation est d’équilibrer le corps et l’esprit.

Cette médecine repose sur plusieurs principes dont les gunas et les doshas. Intéressons-nous aux gunas.

Le principe des gunas

Les gunas sont les caractéristiques ou propriétés fondamentales. Au nombre de 3, elles s’appliquent à tout ce qui existe.

  • sattva est le principe vital. C’est la joie, l’harmonie, la luminosité, l’altruisme. Il correspond à la légèreté et à la pureté. Sattva amène à l’éveil, stimule l’intelligence.
  • rajas, c’est l’action, le mouvement, mais aussi la passion, le désir. Rajas incarne la colère, la jalousie, et entraîne l’obstination.
  • tamas est l’inertie, la lourdeur, l’obscurité. Il entretraîne l’apathie, la paresse, l’égoïsme.

Comme les doshas, les 3 gunas sont présents en chacun d’entre nous et varient en permanence en fonction de notre activité, des moments de la journée et de notre tempérament naturel. Les 3 gunas sont essentielles et indispensables.
Par exemple, dans la réalisation d’un objectif, les 3 gunas entrent en jeu : rajas (l’énergie) intervient en premier et impulse l’action, ensuite vient du sattva (la stabilité) qui permet le calme et le développement de l’action, et enfin, tamas (l’inertie) permet de mettre fin à au projet de passer à autre objectif.

Au quotidien, comme pour les doshas, les gunas doivent être équilibrés avant de tenter de laisser place à plus de sattva.

L’alimentation dans l’équilibre des gunas.

Les aliments tamasiques sont riches en gras, en sel, en sucre. On peut citer les plats préparés, les aliments frits, les légumes racine, les boissons sucrées ou l’alcool. Ces aliments diminuent la résistance du corps et accélèrent le vieillissement.

Les aliments associés à Rajas (on les appelle rajasiques) sont les épices, les oignons, le thé, le café. Ce sont des condiments ou boissons stimulants qui amènent de la vigueur mais qui, s’ils sont pris en excès, peuvent entraîner la colère ou l’agressivité, voire l’impatience à réaliser ses envies.

Enfin, arrive l’alimentation idéale, dite sattvique. C’est une alimentation naturelle, équilibrée, faite de légumes et de fruits de saison, d’oléagineux, etc. Elle permet la sustentation sans excès et dans la joie.

La viande est souvent classée dans les tamasiques, voilà pourquoi elle est souvent considérée comme mauvaise dans notre quête de sattva. Mais on la retrouve aussi dans les rajasiques. Cela dépend notamment du type de viande, mais aussi de la cuisson, etc. Cela signifie qu’il ne faut pas nécessairement exclure complètement la viande puisqu’on a besoin des 3 gunas et que rajas est ce qui nous met en mouvement.

Le hatha yoga pradipika, un des traités références en yoga, suggère une alimentation sattvique. De nombreux pratiquants trouvent la source que leur régime végétarien dans ce texte.

Il y a également une explication physique : les repas végétarien assurent une digestion rapide et légère pour pratiquer de façon plus continue et plus intense.

Alors, faut-il être végétarien ?

Dans son interprétation des yoga sutras de Patanjali, B.K.S. Iyengar détaille le principe d’ahimsa : « non-violence en parole, en pensée et en action ». Et si les anciens traités comme le Hatha Yoga Pradipika encouragent à la non-consommation de viande, il faut se rappeler le contexte dans lequel ces textes ont été écrits. Ils ont été rédigés à des époques où les yogis consacraient leur vie au yoga. Aujourd’hui, nous sommes en occident dans une société d’action, dans une ambiance rajasique. Ainsi, la viande étant rajasique, il peut être admis d’en manger, avec modération bien-sûr, considérant les conséquences écologiques du régime carné.

Cette question reste avant tout une posture personnelle, parfois un chemin avec des aller et retours entre un régime carné et végétarien. Il faut surtout retenir qu’il n’existe aucune injonction.